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Toucher au vif :

​

Nous savons tous quelque chose de la difficulté d’écrire,
- de la pensée qui nous échappe,

- de celle qui s’écrit seule,

- du contresens surgissant, mais révélant,
- de la trouvaille improbable, qui rencontre soudain le sous-jacent, allongeant alors le temps et la plume en ricochets, autour de mots ajustés. 

 

Ainsi, entre Égard et Regard, c’est à la consonne près que je chemine dans un travail de création en liesse avec les lettres, les mots, la parole, le langage
et le silence essentiel précédent bien souvent : un dire qui m’éclaire.
Une affaire de relations, de concordes et d'imprévus jubilatoires.
J’ai ainsi découvert que dans liesse, il y avait la racine latine : laetitia qui signifie : joie

et ledece en ancien français, qui veut dire : lié.

 

Mais, cheminons.

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A l’ idée traversante de ce propos : Toucher au vif,
ma première exploration s’est écrite intuitivement comme suit, sur la feuille d'un bloc note:

« A la lettre près  : archipel et dessein animé : une affaire de Traversées : Toucher au vif  ».

Une sorte de rébus s’était donc présenté à moi.

​

En effet, cette succession de mots et de ponctuations, était venue s’inscrire, non comme une claire décision,
mais comme un déroulé inspiré par une écoute en perspectives, et cela depuis le centre de ma pratique artistique, donc depuis un certain art de vivre.


Ainsi, ces mots insulaires et ponctués avaient littéralement : déboulés,

dans une écriture quasi automatique, dont j’ai peu à peu discerné nouages et reliages.
Pour exemple : ce dessein animé : dont j’ai finalement senti qu’il était arrimé à la compagnie du vivant sujet qui nous anime, souvent à notre insu. 

L’insu comme ce que l’on sait du dedans, mais tout en l’ignorant.

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J’entendais alors que cet insu serait à réveiller,

Il viendrait toucher : au vif du sujet

et passerait par l’écriture, dans son cortège d’antécédents, de considérations, d’histoires et de récits.

Des alphabets initiaux en Mésopotamie au « parlêtre » du XX ème siècle (mot et concept de Jacques Lacan),

le cheminement allait m’inscrire dans la durée et dans un consentement à me laisser surprendre.

Pourtant, je n’avais alors aucune idée précise de ce qui allait se texturer,

ni de comment l’écrire, puisque tout me semblait aussi clos / qu’ouvert.
Soit : un envahissement par une sensation de paradoxes, d’un monde d’oxymores, d’homophonies, de métonymies,

un monde encore secret mais travaillant tel un agitateur au fond d’un bécher de laboratoire. 

j’ai  eu la tentation de me désister,

Mais, c’est la tentative de ne pas me détourner qui m’embarquât.

Il s’agissait d’explorer, ça ne se refuse pas.

 

N’avais-je pas écrit : affaire de Traversées : un événement que la cure analytique nous enseigne,

tels les passages d’une rive à l’autre : ce précieux que l’on rencontre à Venise comme un fil conducteur ;
citée qui d’ailleurs, dès 1469, devenait pour de nombreuses années, la première productrice de livres en Europe.

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Cette difficulté de parvenir à écrire les fulgurances, les intuitions traversantes et les références aux livres phares,
s’est diluée à l’écoute des mots surgissant, mais sans bien savoir ce qui se disait entre les lignes.

Se tramait alors, la synthèse d’une intuition prégnante et le jeu entre les lettres, qui se faisait presque sans moi.

Tout m’invitait à une étrange traduction, dans ce processus proche d’une « poétique du traduire » comme l’écrivait Henri Meschonnic, et relié à l’expérience. 

Souvenons-nous que poésie, vient du grec poïen : qui veut dire : faire,

non pas au sens de : faire quelque chose, non,

mais au sens de faire : apparaître, tel serait l’acte véritable du poïen. 


Alors Œuvrons, voire : O(e)uvrons, Traduisons.

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J’entendais que ces mots insulaires, étaient reliés à l’éventail que je tentais de déployer de longue date,

à propos du vertige qu’induit : prendre la parole et de parole comme pharmakon,

soit :  une même substance qui peut tout autant nous détruire que nous sauver.

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« Là où croît le danger croît aussi ce qui sauve », écrivait le poète Hölderlin.


Combien la cure analytique peut nous mettre en phase avec ce principe actif,

saisissant ainsi l’organisation du chaos et la cohérence de nos incohérences : une richesse à ne pas négliger. 

 

Dans le théâtre, l'idée de toucher au vif est au coeur du sujet:

Le théâtre :

lieu de paroles et de dialogues : informés à partir de l’écrit
lieu de corps et de mouvements, de leur contraire aussi parfois,

lieu des lumières et des ombres,
de  catharsis,

de pulsations entre scène et salle,

de larmes de gratitude aux paroles émises

par celui qui acte vers celui qui reçoit,

une affaire de temps et d’espaces entremêlés très singulièrement,

un lieu du vivant ciselé dans la fibre de l’écrit et vice versa.

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Valère Novarina dans son livre : « Devant la parole » écrit :
« celui qui parle, celui qui écrit, c’est un qui jette ses mots comme des cailloux divinatoires, comme des dés lancés.

Il ne choisit pas les mots pour s’exprimer et parce qu’il aurait quelque chose à dire, il porte chaque mot à son oreille pour entendre. Nous entendons dedans les mots, les choses en suspens...tout l’univers suspendu à l’instant des paroles … dans le plus petit des mots, toute la matière est pendue à la parole ». 
Je pensais, qu’entre égard et regard :  dans l’espace de la lettre manquante :

il y avait comme une invite à entendre ce que l’on voit, ou mieux : à écouter ce que l’on regarde :
une affaire de considération sans laquelle : la culture n’opère que très peu.

C’est aussi ce qui va déterminer la texture de ce qui va s’écrire.


D’associations en dissociations, de soudures en césures, m’est revenu qu’il y avait chez les grecs, un seul mot pour désigner :  dessiner et écrire, soit : Grapheïn.  Entre, peut-être y aurait-il une place pour l’esquisse, dont le poète Yves Bonnefoy disait qu’elle « n’est pas l’allusion, ni l’ellipse, ni la référence connue, c’est l’inconnu qui se risque à découvert un instant et bien sûr avec une intuition à soi, un jeu propre… ». Tracés fertiles car singuliers. M’est revenu ce titre de Moustafa Safouan:

« L’Inconscient et son scribe », pour son ouvrage éponyme.


On trouve des Essais et même des esquisses chez Montaigne, des Fragments chez Héraclite, des Haïku chez les poètes japonais.

Écrire est comme la pensée en acte, arrivant par bribes, délivrant une parole touchant à ce qu’elle peut : à savoir : rendre le sujet autonome:
Qu'il s’en trouve non plus auxiliaire, mais informé : c’est à Dire : ayant pris forme et averti.

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flc 2020

Petite Chronique du Singulier

in: "EsquisseS"   Feuillet, ACF en B F-C : page 74 :

https://daf1c8e7-6b14-4ead-b68e-53f3502c9fca.filesusr.com/ugd/b72809_df7435d4b0794e7ca01679ad92d46928.pdf


https://www.psychanalyse-bourgogne-franche-comte.com/

                                                                          

La maquette comme forme-récits


        Le petit format :                                                                     
ou : « laisser de l’incomplétude à l’œuvre » (1)

Entendre ce que l’on voit :
ou : l’écoute en perspectives.

                                                                                                            

         Préambule                                                                                           

La maquette est une proposition ténue,
plus qu’une démonstration massive.

 

Une espèce de : « pas-tout ».

Des fragments rassemblés pour une partition polysémique       

pouvant se lire, se dire, se taire.
Un éventail de citations, posées à l’autre point cardinal des classifications norme Afnor territoriale
ou du nuancier Ral universel :
elle fait concorde avec les singuliers-pluriels et vice versa.

  

        Dialogue sous-jacent : ou le corps de texte  

 

La maquette suggère, invite, attend,

une sorte de ruban de Moebius,

aussi clos qu’ouvert : reliant.                                                            

                                                                                               

Tel l’ancien modello,                                                                         

elle s’apprête à la métamorphose

dès l’interprétation du « regardeur »(2).

Sa source initiale est : l’attention, la considération pour l’infime, 

là où se joue l’agitation des nuances et dont dépend le spécifique:

l’un & l’autre.

 

Se laissant traduire : elle embraque du microcosme au macrocosme, par précipitations.
Une sorte de cabinet de curiosité, jouant avec les règles de l’art, pour en saisir une des essences :

celle de l’inattendu, soit l’attendu du dedans,
mais que nous ignorons, tant que nous bridons l’ouverture à l’insu.

 

C’est une singulière cosmogonie,

un petit univers relié à des temps conjugués : faisant textures.

Une pièce unique livrée à l’entendement comme un rébus.

Une corde de funambule, tendue entre « simul & singulis »(3) : les deux pôles d’une pile, ainsi tenue en éveil,
entre les pas du réel, du symbolique et de l’imaginaire.    

 

Dans « Anamorphose » ici présente : un crayon de charpentier, un autre de dessinateur :
chacun usé à la limite de sa disparition.

Ils sont à la fois acteur et doublure des tracés successifs qu’ils ont distingués,

donnant corps à l’esquisse4, aux repères, augmentés d’invisibles empreintes du vécu.

La praxis du singulier comme dénominateur commun, pour réfléchir le vif du sujet.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         
1 Horvilleur Delphine, Le rabbin et le psychanalyste, l’exigence d’interprétation, Paris,  Hermann, 2020, p. 38.

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2 Selon Marcel Duchamp, le regardeur fait l’œuvre : « Je crois sincèrement que le tableau est autant fait par le regardeur que par l’artiste ».

Charbonnier Georges, Entretiens avec Marcel Duchamp, 1960, Marseille, Éditions André Dimanche, 1994, p. 11-12.

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3 Semblable et cependant différent.

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4 L’esquisse : « Elle n’est pas l’allusion, ni l’ellipse, ni la référence connue, c’est l’inconnu qui se risque à découvert un instant et bien sûr avec une intuition à soi, un jeu propre… »

Bonnefoy Yves, Goya, les peintures noires, Bordeaux, William Blake and Co, 2006.

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*Focillon IMG_6263.jpeg

« Anamorphose »
crayon de charpentier, crayon de dessinateur, socle en bois, cartel en papier

7 cm x 11 cm x 5 cm

Petite chronique du singulier : Autour des œuvres, d’une œuvre ou les cercles concentriques. A propos de Nicolas de Staël (1914-1955).

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« Toute ma vie j'ai eu besoin de penser peinture,

de voir des tableaux,

de faire de la peinture pour me libérer de toutes les impressions,

de toutes les sensations,

toutes les inquiétudes

auxquelles je n'ai jamais trouvé d'autres issues que la peinture.»

Nicolas de Staël (1)

Trouver d’autres issues, écrivait Nicolas de Staël.

Quelles impasses alors, quels murs au tréfonds ?

Un fil d’Ariane toutefois : la peinture.

Et pourtant, ce sera un saut dans le vide en 1955,

quelque chose cède, cesse ou se réalise irrémédiablement.

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« A quoi ça tient » ? questionne l’adage.

​

A quoi ça tient cette pratique vitale pour l’artiste,

celle par laquelle il affecte son temps à traduire et transposer,

à préciser ce qui le traverse et vice versa,

à placer ainsi  hors de lui, par ses créations, un invisible qui fait heurts,

insiste et demande à trouver passages.

​

Quel désir et quel dire, dans cette rencontre avec l’immanence, dans cette manière d’incarner.

Serait-ce une affaire d’élaboration du sujet, dans ce face à face avec ce qui se révèle d’œuvre en œuvre,

par rassemblements, digressions et associations.

Chaque tentative : comme un chemin de traverse, à moins qu’il ne soit de crête celui-là.


Ouvrage de création qui fait voisiner les débris de la casse et les aspirations.

La cohérence des incohérences fait apparaître une lisibilité, émanant d’une archéologie aussi personnelle que filiale. Le médium soutient alors les essors apolliniens et le vortex dionysiaque, par inscription dans la matière.

Serait-ce cela prendre corps ?

 

« ex-sistence», articulait Jacques Lacan.

​

Et puis à quoi ça tient qu’une œuvre nous retourne, une première fois à la rencontre,

et puis, à chaque fois de la retrouvaille.
Quelles strates en concordances ?

​

A quoi ça tient, qu’une autre ne parvienne pas à la coordination avec notre attention,

qu’elle n’engendre qu’ennuie, désolation, détournement ou infortune à l’entendement.

 

Qu’est ce qui de la psyché et du vécu s’entrelacent, se noue sur la surface picturale, incarnant marques et empreintes.  A quoi ça tient que la vie et l’œuvre se conjuguent et s’articulent, forcément marquées l’une par l’autre, pour quel chant des possibles ?

 

D’émission en réception, s’instaure une écoute entre découverte et discernement.

Une sorte d’entre les lignes :  le domaine de la Nuance,

Une sorte de « mi- dire » peut-être bien.

Affaire de séance(s), de séquences : un hors champs opérant aux surfaces circonscrites.

 

A quoi ça tient un tel regard,

celui que Nicolas de Staël pose sur son environnement depuis son intériorité.
Celle là qui dicte, demande et acte,

à en surprendre celui qui œuvre et celui qui reçoit.
Chants d’associations intiment intriquées au vécu : corps et âme.

 

Nicolas de Staël, est né Baron Nikolaï Vladimirovitch Staël von Holstein, en 1913 à Saint Pétersbourg, devenue Petrograd. Immigration en 1917, question de survie, mais orphelin à 6 ans.
Les placements et déploiements : Bruxelles, Paris, Afrique du nord, Italie et retour,

précisions faites : il sera peintre.

Les amours, les enfants, les deuils,

Les manques, les quêtes, les comblements.

Ménerbes, Agrigente en Sicile,

et le sud encore,

jusqu’au fatidique 16 mars 1955,

où il se jette du balcon de la maison d’Antibes.

Passage à l’acte dit-on,

se donner la mort,

à quoi ça tient, ou pas.

 

A quoi ça tient ce précipité, quels précipices, ce sans issue, ou cette issue par absolue rupture.
Quel franchissement, pour quels obstacles ?

 

A quoi ça tient cette écriture singulière, jamais vue avant lui, immédiatement identifiable.
A quoi ça tient un tel continuum dans l’ouvrage,

cet acquiescement sans détournement aucun, tant que la vie opère,

cet éternel retour du centre coronaire de la psyché vers le medium élu par celui qui œuvre;

ces matières et manières qui permettront de transcrire, de dire , voire de quitter ce qui se trame et fait texture,

comme paroles et silences opèrent en analyse.

Rejoindre alors l’impérieuse nécessité, que le peintre Vassili Kandinsky nommait : « intérieure »,

cet imperceptible qui façonnent.

 

On pourrait déposer-là ne citation relevée dans l’ouvrage d’Eugen Herrigel, « Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc ». A propos du Zen, il explique : « les organes habituels de compréhension ne peuvent le saisir car il n’est pas spéculation mais expérience du fond insondable de l’être et que l’entendement ne peut concevoir.

On le sait en tant qu’on l’ignore. »

Et la pratique artistique peut bel et bien relever de ce propos : « on le sait en tant qu’on l’ignore ».
la cure analytique, en diverses parts s’y pétris aussi :

élans et retours qui inscrivent dans la durée,

reliés à des rhizomes, des résonnances : du sous-jacent, à la résurgence.
Une exploration, d’entropie et de néguentropie, qui embarque dans une navigation sans cartes,

juste sous constellations,

à décrypter,

reliée à un inconnu sachant,

qui ne demande qu’à se déployer pour nous laisser en vie,

soutenir le sujet qui peine

et traverser en percée le mur de l’impasse.   


A quels fils conducteurs sont reliés ceux qui : chaque jour,

une vie durant,

s’aventurent dans l’exploration de ce qu’ils ignorent, tout en le subodorant.

Ceux qui cherchent sans savoir,

osant les tentatives pour entrer en passages,

un autrement, en flux et lux occurrents.

Ceux qui font sillon à ce qui les anime : qui à la fois les portent et pourrait tout autant les détruire ;

Ce qui les transporte vers l’advenir de la prochaine mise en œuvre,

ce qui se met en mouvement,

ce qui se fait attendre, entendre, se délie sous l’esquisse : rendant visible, audible.

Perceptibles traces qui se montrent, pour se faire suivre :
là où il y avait : rien hors de soi,

Quelque chose apparait.

 

Nicolas de Staël  a beaucoup peint, mais détruit beaucoup également.
Le singulier de son écriture est dans sa transcription par l’épure, l’effleurement des pleins par les marges,

les contrastes entre réserves et vibrations, les empâtements comme des écorces, puis la matière fluidifiée des dernières œuvres. Des constructions par touches juxtaposés, comme des tesselles imbriquées faisant mur, surface et ouvertures.  

A quoi fait-elle jour cette façon de peindre : quels sont les titres, les matières et les manières qui attestent.

Une écriture par le fragment, le recouvrement et les interstices,
pour un tout plus vaste que le sujet lui-même.
Une émergence qui lui est propre.

Une inauguration, par un modus operandi aussi synthétique que vigoureux,

Aussi épais que vibrant, aussi délimité qu’ouvert.

 

Un diapason du Là.

 

Une lucarne, un miroir : un vis-à-vis en pleine présence à ce qui est.

L’éternelle tentative de rencontres entre élaborations et circulations. 

Une autorisation qui se joue entre liens, franchissements et barrières.

Toujours une mise en oeuvre qui transmue les tensions en élans.

 

250 tableaux peints entre 1953 et 1954,

mais en 1955 : passage à l’acte,

laissant cette œuvre à notre considération.
« Attention, percevoir nécessite de s’engager », pressent l’artiste Antoni Muntadas (2) .

 

« Per aspera ad astra » (3) , propose la locution.

 

Si seulement …

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1- Écrit à l’occasion de son exposition à New York en février 1953, cité dans l’article « l’œuvre aventurière de Nicolas de Staël » Henri Maldiney.

2 - Artiste multimédia, né en 1942 à Barcelone.

3 - Par des sentiers ardus jusqu'aux étoiles.

crédit photographique françoise le corre sur tout le site

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